Si Cioran se faisait un allié de « l’inconvénient d’être né », c’est plutôt l’angoisse qui aide Jean-Claude Leroy à exister. Elle est une souffrance mais, étrangement, vient conjurer la mort : la trahir, c’est me tuer/mon angoisse m’appartient/son étoffe, c’est la mienne ». Tout « espoir anéanti », il porte son propre deuil, vivant sans vivre dans cette « époque épuisée » où la vie n’est pas la vie. Est-il condamné à « errer indéfiniment/ou s’ancrer à l’endroit du manque », entre présence et absence ? Il y a chez ce poète qui cherche son vrai visage une quête éperdue de l’identité qui se dérobe sans cesse, compagnon de qui il est, sans pouvoir coïncider, d’où une immense solitude intérieure doublée d’une « misanthropie paradoxale ». Cette quête existentielle ne saurait s’accommoder des faux semblants et, loin des « faiseurs de vérités invérifiables », inspire une écriture sobre où chaque mot, même le plus banal, doit engager l’être, même si la poésie peut être vénéneuse : « libre folie évadée de tout et de toujours/gorgée d’air initiale, poésie, poison où je patauge ».
Alain Roussel
(En Attendant Nadeau, juin 2022)