• Ça contre Ça (Passager clandestin de la pensée)

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    Jean-Claude leroy : "ça", sur le tranchant des mots

    S'il a souvent écrit des textes en prose, Jean-Claude Leroy revient depuis quelques années au poème. Ce n'est pas gratuit. Cette forme concise lui permet de dire au plus juste, d'aller au plus direct, au plus nu. Tel un archer, il décoche ses flèches vers après vers, en pluie. Car ce poète est en guerre. Dans son dernier livre, "ça contre ça", publié chez Rougerie, ce n'est pas seulement la société qu'il combat, le "peu de réalité" qu'évoquait naguère André Breton, mais aussi cet ennemi de l'intérieur, ce surmoi qui n'est rien d'autre qu'une façon pour la société de se glisser en nous par l'éducation et le langage soigneusement policé, ce qu'on peut dire et ne pas dire, ce qu'on doit penser ou ne pas penser. Il n'est pas anodin que dans son livre il cite Héraclite qui avait fait de Polemos, la guerre, le "père de toutes choses". Chez Jean-Claude Leroy, l'antagonisme est présent en permanence et donne à son livre une tension particulière :
     

    Guerre contre guerre
    pierre contre pierre
    feu contre feu
    la mort te renouvelle...

    Peut-être cherche-t-il, dans cette opposition poussée à l'extrême, chaque chose contre chaque chose, soi contre soi, "ça contre ça", une harmonie des contraires qui les maintiendrait ensemble, mais distinctement, en un couple inséparable?  Ce serait sa manière à lui d'assumer son désespoir ou plutôt son désarroi d'être là, au monde, seul avec sa conscience et avec ce "ça", cette pulsion originelle et fondamentale à être mais qui est contrariée, canalisée depuis l'enfance. Nul doute que Leroy a lu attentivement Groddeck et Freud et essayé d'aller y voir par lui-même. S'il n'est pas un "suicidé de la société", au sens radical d'Artaud, il est un écorché par le dedans, mais vivant, terriblement vivant, par ses luttes, par ces mots avec lesquels il affronte l'incompréhensible, là où d'ordinaire le langage ne pénètre pas. Il essaie de rendre sa propre obscurité lumineuse. S'il y a des aspects psychologiques dans son livre, s'il porte une révolte contre la société, il mène aussi un combat métaphysique, existentiel dont il attend une révélation sur lui-même.

    Extraits :


    une pluie de questions laboure ton jardin

    les saisons recyclent l'angoisse et le pardon

    ne reste qu'un arbre ensanglanté par l'orage

    dont les fruits sont tombés avant d'être mûrs

    témoin un corbeau s'accroche à la course du ciel


    ...


    – de quelle énergie suis-je l'objet ?

    ÇA me vient
    ÇA se tait
    ÇA ne s'éteint pas
    moi seul je meurs
    ÇA est toujours
    mais lequel ?


    ...



    je me suis dedans vu écorché

    et basculant dans l'abîme
    aussi vieux que vertige
    vertige originel
    interdit essentiel
    connais-toi toi-même
    et tu mourras pour le vrai
    tu prétexteras des images
    des images te léchant la face
    des images prenant ta place
    pour ne pas mourir d'impossible
    de ce néant primordial
    d'où tu viens
    big-bang peut-être
    ou gélatine pseudo-galactique
    tu ne peux plus tirer la chasse
    d'être écœuré tu étouffes
    enfant condamné
    vagissant perpétuel.



                                                       Alain Roussel

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